Post by Kurara on Feb 28, 2017 10:08:58 GMT 1
J'avais fait ce post de blog l'année dernière, mais j'ai fermé mon blog perso et on m'a contactée récemment pour me dire que c'était dommage, donc je le copie/colle ici pour les personnes à qui ça pourrait servir. Effectivement, on trouve beaucoup de ces témoignages en anglais, mais très peu en français.
Posté le 13 mai 2016 :
Je préfère prévenir : ce billet de blog va être trash, très long, contenir beaucoup trop d’informations, et violemment manquer de pudeur. Un peu comme moi quoi. Si vous êtes intéressé par ce que j’ai vécu en Thaïlande, dans les détails, je vous encourage à continuer. C’est un récit de voyage. Mais c’est aussi le seul blog post que je ferai sur le sujet, et il est exhaustif. Si vous vous posez des questions sur la chirurgie, tout est probablement là-dedans.
Je n’étais pas partie pour faire du tourisme. 27 jours en Thaïlande, c’est à peu près le temps nécessaire pour subir et commencer à se remettre d’une chirurgie de réassignation génitale (SRS). Comme la plupart des lecteurs de ce blog le savent, je suis une personne trans, ce qui signifie dans mon cas que mon anatomie physiologique rentre en conflit avec ma euh… nature. Je me sens nettement mieux dans mes baskets quand une grande quantité d’oestrogènes me coule dans les veines et quand j’ai un vagin et non un pénis. Ce genre de choses arrivent. On peut vivre avec et être dépressive toute sa vie, ou on peut prendre son courage a deux mains et faire ce qu’il faut pour que ça aille mieux. (et être toujours dépressive mais un peu moins) Je ne reviens pas sur tout ça, je l’ai déjà traité sur ce blog précédemment.
Je n’ai jamais détesté ce machin entre mes jambes. Je n’ai juste jamais bien compris ce qu’il faisait là, mais je ne l’ai jamais haï. Mais ça fait quelques semaines qu’il est parti et j’ai du mal à croire qu’il a un jour été là. Berk. Rétrospectivement ça me dégoûte un peu, alors que ça ne me dégoûtait pas à l’époque. Marrant. Il y a beaucoup de femmes trans qui ont un « aftershock » violent et ont du mal à s’habituer à la perte de leur engin, quand bien même elles le détestaient. Ironiquement, alors que je ne le détestais pas, ma nouvelle physionomie me semble tellement naturelle que j’ai plutôt du mal à me rappeler comment c’était avant.
Mais si je veux que vous compreniez, il va falloir tout reprendre du début. Allons-y.
Un premier aparté sur le type d’opération
J’ai personnellement signé pour une opération de chirurgie génitale (SRS), c’est à dire pour avoir un vagin à la place de mon pénis. Et uniquement pour ça. Il existe d’autres opérations populaires, voire plus populaires. En voici une liste :
- BA : augmentation mammaire. une procédure à laquelle les femmes cis ont aussi recours et qui consiste à augmenter sa poitrine. C’est souvent l’opération la plus douloureuse.
- FFS : féminisation du visage. Il s’agit de donner à sa tête une forme et des traits plus proches de ceux d’une femme cisgenre moyenne. Une opération paramétrable dont vous pouvez voir des exemples et apprécier les subtiles différences ici : 2pass.eu/portfolio/. C’est une opération qui permet notamment de se faire passer plus facilement pour une femme cisgenre afin d’avoir moins d’ennuis. (et du reste beaucoup de femmes trans ne supportent pas leur visage) A noter que certaines femmes cis y ont aussi recours quand leur visage est trop masculin.
- VS : chirurgie des cordes vocales. Il y a différentes méthodes mais en gros l’idée est de rendre la voix plus féminine. Généralement on lui préfère des cours d'orthophonie, longs et difficiles, mais plus souvent efficaces.
- AAR : Réduction de la pomme d’adam : il s’agit de « râper » celle-ci afin qu’elle ne se voie plus. C’est une opération mineure et peu coûteuse.
Parmi ces opérations, seule la SRS est « fonctionnelle » (bon et un peu la BA aussi). Les autres sont « visuelles » en ce qu’elles ne modifient que l’apparence, mais nécessaires en ce qu’elles permettent à de nombreuses femmes trans de cacher leur transidentité. Cela leur permet de vivre normalement, de se fondre dans la masse, de ne pas se faire tuer, et de trouver un travail. Cela leur permet aussi de moins se détester et de moins facilement sombrer dans la dépression.
De nombreuses femmes trans, surtout jeunes, n’ont pas besoin de toutes ces opérations mais beaucoup les font quand même par envie et par sécurité. Personnellement, je ne ressens pas le besoin d’avoir une grosse poitrine qui risque de me faire mal au dos (mon bonnet A me convient très bien et m’est tout à fait naturel), ma pomme d’adam est discrète (et même si les gens la remarque je m’en fous…), quant à mon visage si il est masculin, je l’aime bien tel qu’il est. Pour la voix, je fais des exercices d’orthophonie mais c’est un travail très long et difficile et qui ne me motive pas vraiment. Je n’ai jamais eu envie d’être prise pour une femme cis. Je suis une femme trans et je trouve ça cool. C’est une espèce rare. (et en danger huhuhu) Et je trouve ça cool les espèces rares ! (mais pas trop d’être en danger, d’où l’orthophonie)
A tout ça il faut bien sur ajouter le traitement hormonal, qui n'est pas une opération mais qui est le plus important et le plus courant. Il change littéralement le corps entier : les traits, les formes, la graisse, les seins, les organes internes, la pilosité, l’odeur corporelle, … C’est une gigantesque usine intérieure qui repose sur des principes naturels et qui est capable, très lentement et sans artifice, de changer un peu tout et n’importe quoi sans qu’on ait d’ailleurs la liste exhaustive. (on peut même allaiter !) Je suis sous traitement hormonal depuis 10 mois, et il faudra sans doute encore une bonne année pour que j’aie un aperçu des effets complets, mais pour moi c’est le plus important et ce qui me fait me sentir le mieux. Le traitement hormonal se continue à vie, mais sa composition change en fonction de la situation.
15 avril – Arrivée à Bangkok
Le billet a été pris 4 mois auparavant. Les premiers contacts avec l’équipe du chirurgien remontent à plus d’un an. Il a fallu planifier, faire de nombreux examens médicaux à Paris, avoir un suivi psychiatrique minimum, éviter certaines pratiques et si possible se maintenir en forme (inutile de dire que j’ai zappé la dernière étape). Et bien sur lire des centaines et des centaines de pages de forum sur des retours d’expérience, des trucs à éviter, des trucs à faire… Sans rentrer dans les détails sans intérêt, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Je suis venue avec ma compagne et nous restons pour 27 jours ; mon père, ma belle-mère et ma petite sœur de 1 an nous accompagnent les deux premières semaines. La clinique est dans Bangkok même, et notre hôtel est à 15-20 minutes en voiture de celle-ci.
aéroport de Bangkok, vue d'artiste (fatiguée)
Nous arrivons à l’hôtel vers 7 heures du matin, épuisées. Nous avons peu dormi dans l’avion et nous nous endormons en arrivant. Le chauffeur qui nous a récupérées nous a fourni une lettre avec l’heure du rendez-vous le lendemain, et le régime alimentaire à suivre. Uniquement des liquides clairs dès le 16 : eau, bouillons, jus de fruits sans pulpe, sodas. Je n’ai donc guère que deux repas devant moi pour profiter de la cuisine Thaï. Un seul en fait, puisque nous avons trop mangé dans l’avion et pas assez dormi. Notre seule activité le 15 consistera donc à aller au supermarché du coin et à acheter tout plein de trucs essentiels à notre survie dans les semaines à suivre, pour équiper notre petit cottage et pour remplir notre frigo. Le soir, nous mangeons au restaurant du bar.
16 avril – Rendez-vous à la clinique
Le chauffeur vient nous chercher dans la matinée. L’administration de la clinique doit vérifier nos différents certificats et pièces d’identité, récupérer les versions papier de nos analyses… Ce n’est pas une grande clinique mais on est vite surpris du nombre de personnes qui travaillent dedans.
Une fois que tout ceci est fait, on m’emmène voir le chirurgien à l’étage d’au-dessus. Il s’agit du docteur Chettawut, un homme adorable et considéré ces dix dernières années comme l’un des 5 meilleurs chirurgiens du monde dans le domaine. (dont 4 Thais et 1 Canadien)
on oublie les pantalons : il fait 40°C, et post-op ce serait du suicide
Rien de bien effrayant : le docteur me parle de la procédure, me présente les médicaments à prendre au préalable (une armée de laxatifs). Prends des photos de mes parties génitales sous différents angles (je lui en avais déjà envoyé). Il ne s’agit pas d’être pudique, mais je suis personnellement trop terre à terre pour l’être et je sais que ce qui m’attend sera de toutes façons bien pire. Son anglais est excellent, et du reste je n’ai pas vraiment de question, m’étant beaucoup renseignée au préalable.
Je repars avec mes médicaments pour prendre le bol de bouillon et le verre de coca qui m’attendent.
Un second aparté sur la qualité et les risques des chirurgies
La qualité d’une opération de chirurgie génitale se mesure a trois facteurs essentiels :
[1] la sécurité de l’opération et les risques de complication (ou plutôt la gravité statistique des complications car c’est le genre d’opération complexe ou il y a TOUJOURS des complications) ;
[2] la ressemblance et l’esthétique visuelle ;
[3] la ressemblance et la qualité fonctionnelle (sensations, emplacement des organes, …)
Les meilleurs chirurgiens du monde sont tous excellents dans les trois domaines, mais le Dr. Chettawut est nettement moins cher que ses collègues (12 000€ en prenant tout en compte) ce qui en fait le choix privilégié pour les personnes qui ne peuvent pas se permettre une opération à 20 000€ ou plus. Pour financer mon opération, j’ai du lever 7500€ de dons auprès de mes proches grâce à la campagne indiegogo de mon recueil de poèmes, et emprunter 6000€ par ailleurs. Je croule déjà sous les dettes, je ne peux pas me permettre 2000€ de plus et je suis donc heureuse de cet état de fait.
Pourquoi ne pas le faire en france, ou nous avons sans doute de meilleurs chirurgiens que tous ces « bouchers » thaï ? Eh bien en fait, il y a plusieurs préjugés là dedans. Il y a l’idée que la Thaïlande est un pays lointain et barbare ou on opère à la machette et ou on ne connaît pas les antibiotiques. Il y a l’idée que la qualité d’une chirurgie dépend du niveau de vie moyen d’un pays. Et il y a l’idée qu’on est forcément fort dans tous les domaines médicalement parce qu’on est français.
La vérité, c’est qu’en France, comme dans la plupart des pays occidentaux, nous sommes nuls en SRS, et parfois même catastrophiques et dangereux. Des équipes médicales française ont du fermer par le passé à cause de leurs résultats effroyables. Des vies ont été ruinées. Nous avons une seule équipe dans toute la france qui offre des résultats corrects (même si à des années lumières des meilleurs), et cette équipe connaît des listes d’attente de plus de 3 ans. Un chirurgien est bon si il a de l’expérience. Les meilleurs chirurgiens font 200, 300+ opérations par an. La plupart des autres font 30 opérations par an au mieux, parfois moins. Une équipe qui fait 7 opération par an n’a pas l’expérience requise pour opérer correctement. Aller voir un chirurgien qui a fait 50 opérations dans sa vie quand on peut aller en voir un qui en a fait 3000, c’est du suicide.
Par ailleurs la France est extrêmement transphobe et pour avoir accès à la seule équipe correcte, il faut d’abord passer par un « parcours officiel » qui ressemble davantage à du harcèlement moral qu’à un procédé médical. (pensez à ce qu’on vous fait subir quand vous voulez avorter aux US, multipliez ça par 100 et vous aurez une idée de ce qu’il faut prendre dans la figure pour finir le protocole « officiel »).
D’ailleurs la france viole un certain nombre de résolutions européennes sur le sujet, et je ne parle même pas du droit des trans en ce qui concerne la procréation assistée parce que c’est une vaste blague.
La Thaïlande avec 4 chirurgiens parmi les 5 meilleurs est le meilleur choix à l’international pour la plupart des résidentes de pays occidentaux ou asiatiques qui peuvent financièrement se le permettre. Tout simplement parce qu’en Thaïlande, la SRS est non seulement énormément pratiquée, mais également enseignée en école de médecine. Et là est toute la différence. La Thaïlande peaufine son opération depuis 30 ans, sur des dixaines de milliers de personnes ; elle connaît tous les cas spéciaux, toutes les réactions étranges, elle améliore sans cesse son protocole... La france, elle, n’y connaît rien. Son seul bon chirurgien a du se former... Au Canada. Nous avons 20 ans de retard sur les Thaïs, tout simplement.
17 et 18 avril – Repos et Laxatifs
Le matin du 17, nous allons visiter le centre commercial le plus proche, à 15 minutes en taxi. Je dois racheter un ordinateur portable, le mien ayant rendu l’âme en arrivant. (grrrr !) Un achat dur à avaler vu mes problèmes financiers mais qui s’avérera salvateur et nécessaire par la suite.
Le soir du 17, je prends des légers laxatifs, et quelques heures plus tard les choses désagréables commencent. Je ne suis pas très réactive aux laxatifs mais par contre très réactive au nettoyage forcé du côlon. Il s’agit d’une poire à enfoncer dans son derrière (miam -_- ) on conseille de laisser le liquide agir plusieurs minutes (idéalement 15 min) mais j’ai personnellement tenu, sans plaisanter, environ 6 secondes. Suivies de trente minute aux toilettes à avoir l’impression qu’un troupeau de palominos me passaient dans le ventre et à détester l’univers entier. Oh well.
ça fait beaucoup de médocs... mais ce n'est que le début
Le 18, je dois boire du Swiff. On m’avait dit que ce serait dégueulasse et c’est vrai que c’est sans doute le truc le plus dégueu que j’ai bu de ma vie, mais mélangé avec du coca ça allait. Les quantités à consommer n’étaient pas délirantes, réparties sur la journée. Je devais aller aux toilettes toutes les heures environ et boire beaucoup mais c’était efficace et je pense avoir bien fait mon travail dans l’ensemble. J’ai pris le parti de ne boire plus que de l’eau, afin d’être sure que tout soit propre. Le chirurgien ne veut pas le moindre mouvement de l’intestin pendant l’intervention pour des raisons évidentes. Personne ne veut d’une fistule accidentelle entre le colon et le vagin – faire caca par le vagin ce n’est pas très rigolo ; ce n’est pas mortel mais c’est horrible à soigner et ça peut incapaciter à vie. Ce genre de complication, courante chez les chirurgiens médiocres, n’arrive jamais chez les bons chirurgiens. (PS : j’avais dit que ce serait trash )
oui j'ai regardé IT Crowds pendant le voyage
J’ai préféré le swiff à l’épisode de la poire, mais aucun des deux n’était franchement agréable et je ne remettrais pas ça demain pour le plaisir. Le soir j’ai bien essayé de dormir, mais franchement c’était difficile. J’ai du dormir en tout et pour tout 2 heures. De toutes façons qui a besoin de dormir avant une anesthésie générale ?
19 avril – l’opération, J+0
On venait me chercher à 13h00, mais il a fallu me lever à 6h30 pour boire beaucoup – car à partir de 7h, toute consommation de quoi que ce soit était interdite. Pas d’eau donc jusqu’à l’opération. Ayant dormi 2h inutile de dire que je n’étais pas bien fraîche.
Arrivée à la clinique j’étais bien stressée. On m’a fait me déshabiller intégralement, mettre un capuchon sur mes cheveux, enfiler un peignoir à l’envers et on m’a fait allonger dans la petite chambre chaleureuse à côté de la salle d’opération. (pas chaleureuse elle) L’attente a commencé. On m’a expliqué comment utiliser la TV et j’ai réussi à chopper « des chiffres et des lettres » en français ce qui m’a permis de faire travailler ma tête et d’oublier un peu ce qui allait m’arriver. Au début l'infirmière avait mis une série lambda. C’était une scène interminable et triste à périr dans un cimetière, sous la pluie. Juste avant une opération médicale, alors qu'on stresse à mort, c'est pas vraiment le truc qu'on a envie de voir. J’avoue avoir ricané à l’ironie de la situation. Paradoxalement ça m’a remonté le moral. (je suis comme ça que voulez-vous)
Les infirmières sont venues me raser l’entrejambe. Un épisode qui manquait clairement de pudeur mais comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas très pudique et j’ai vécu pire. (une fois qu’on a subi un toucher rectal aux urgences par un docteur qui essaye en même temps d’empêcher une infirmière visiblement très curieuse de rentrer, on n’a plus peur de rien) L’infirmière en chef m’a ensuite expliqué tout un tas de choses, et notamment qu’il fallait que je respire profondément quand je me réveillerai. Je lui ai dit que j’allai probablement oublier. Je crois me rappeler qu’elle a rigolé.
Le temps a passé très lentement, des chiffres et des lettres entrecoupées de visites d’infirmières venues prendre ma tension, et toutes ces choses, et le chirurgien venu m’expliquer des trucs dont je ne me souviens absolument pas. Je me sens seule, ma compagne n’est pas là, Voyelle, Consonne, Voyelle, et hop, le jeu a fini par prendre fin et me voilà obligée d’essayer de trouver une autre chaîne. Il est genre 15h, ça fait plus d’une heure que je poireaute et finalement ça y est, on m’annonce que c’est mon tour.
"this is already a word. Tnetennba. Yes."
On me fait lever, on me prends par la main, et on m’accompagne gentiment dans mes pantoufles vers la salle d’opération. C’est une image que toutes celles qui sont passées par là on vécu mais j’avoue qu’elle est difficile à oublier : cette salle d’opération glauque, blanchâtre de néons, un simple lit au milieu et 8 ou 10 personnes alignés autour qui te regardent rentrer et te saluent. Il y a un côté cérémoniel extraordinaire, la poignée de main avec l’anesthésiste, rétrospectivement c’est horrible mais je suis fascinée. On me fait m’allonger en croix les bras écartés, on me cloue gentiment la paume droite à un tube, c’est très christique, on me dit de me détendre, j’avoue que ça fait un moment que je ne pense plus à rien de toutes façons, on me fait couler un liquide frais dans le bras (mon dieu je déteste ces trucs) et on insiste pour que je m’endorme mais HA !, ce n’est pas comme ça que vous aurez une insomniaque ! Hehehehe. Bon ils ont quand même du finir par y arriver parce qu’à un moment donné je me suis endormie et honnêtement, j’ai adoré ça. Si bien que je n’ai pas senti la grosse aiguille de la péridurale me rentrer dans l’épine dorsale et c’est très très bien comme ça.
L’opération aura été de courte durée, probablement 5h : vers 20h ma compagne recevait un mail lui disant que l’opération s’était bien passée. Je me souviens qu’on m’a dit de respirer profondément mais comme prévu j’ai oublié. J’ai juste respiré normalement, tranquillou. Je ne sais plus ensuite dans quel ordre se sont produites les choses. J’étais complètement bardée de câbles dans tous les sens et je ne sais plus trop lesquels étaient accrochés ou. Électrodes cardiaques, poche urinaire, drains de sang, perfusions... Je crois qu’on m’a débranché la péridurale à un moment donné et c’était pas agréable du tout mais j’étais trop sonnée pour capter. Je me suis endormie comme une merde. Une nurse a dormi la première nuit a côté de moi et me réveillait régulièrement pour que je prenne des cachets mais je me rendormais aussi sec.
20 21 22 avril – la clinique, J+1 à +3
Le réveil le lendemain matin s’est bien passé, dans la petite chambre chaleureuse. Je me suis redressée pour boire mon petit déjeuner (du lait de soja chaud et un chocolat chaud), je pétais la forme (enfin j’avais l’impression), et on a commencé à me débrancher pas mal de trucs. Et puis le moment difficile est arrivé : la descente des marches. Il faut bien comprendre que j’avais autour de la taille et des jambes ce qu’on appelle le « packing » : des bandes de compression, énormément de tissus divers… Une énorme couche-culotte sous une coque en fer, une vraie ceinture de chasteté dont dépassait simplement le drain sanguin et la sonde urinaire. Avec ça, on ne peut dormir que sur le dos, et on ne peut marcher qu’à tout petits pas.
On m’a faite lever, et on m’a aidée à marcher tout doucement et à descendre les marches jusqu’à la chambre ou j’allais passer les 3 jours suivants. Inutile de dire que je n’ai pas aimé l’expérience et que j’ai gémi tout du long. Mais là encore, trop sonnée de toutes façons. On m’a couchée dans la chambre chaleureuse au rez-de-chaussée, on m’a donné ma tablette et mes livres, ainsi qu’un téléphone pour appeler si ça n’allait pas. Je ne me sentais pas spécialement mal, et j’ai dormi. Et ça a commencé à faire mal. Doucement, dans la jambe gauche, puis de plus en plus fort. Je ne sais plus dans quel ordre les choses se sont produites. J’ai tenu aussi longtemps que j’ai pu puis j’ai appelé. On m’a donné mon tramadol, rien n’y a fait. Je me suis mise à pleurer. J’ai appelé à nouveau. Voyant que je pleurais, on m’a fait ce que je pense être une piqûre de morphine. Je crois que ça m’a calmée, je ne sais plus. J’ai posté un truc sur facebook mais mon bras droit ne m’obéissait plus et il tombait tout seul et c’était pas facile du coup.
Ma compagne est venue me rendre visite a quatorze heures (elle n’avait le droit qu’à une heure), et nous avons apparemment discuté, même si je ne me souviens pas vraiment. Apparemment je souffrais. J’ai dormi.
La deuxième nuit a été la pire. Je me suis mise à pleurer sans discontinuer de façon incontrôlable. Le chirurgien a été appelé à un moment donné pour jeter un œil car la situation devenait critique. Morphine, tramadol, somnifères doubles doses... Rien n’y faisait. Ma jambe gauche me lançait du genou jusqu’au dessus de la hanche de façon horrible, j’avais l’impression qu’on me l’arrachait. J’ai pleuré toute la nuit, impossible de dormir. Les infirmières essayaient de me calmer. J’ai l’historique des messages incohérents que j’utilisais toute l’énergie que j’avais à écrire à ma compagne et c’est dur à relire. La suite, je ne m’en souviens plus. La clinique, c’était 2 jours de douleurs intenables qui ont fini par se perdre dans une brume médicamenteuse le troisième jour. Le troisième jour je n’ai fait que dormir. Je n’arrivais plus à parler. Mon père est venu me rendre visite 3 heures avec ma compagne mais j’ai du réussir à dire deux mots. Je les entendais parler mais impossible de participer.
vu comme ça on dirait que c'est bien... mais non, vraiment pas
Rythmées par les visites des infirmières pour le nettoyage corporel (il fallait se tourner sur la droite puis sur la gauche en s’agrippant au lit – gémissements), le vidage de la sonde urinaire, le vidage du drain sanguin, les médicaments… Un vrai ballet dont je me souviens mal.
Si le premier soir j’aimais le chocolat au lait chaud et le lait de soja chaud, je pense que je ne pourrai plus jamais y toucher de ma vie. Rien que d’en imaginer l’odeur et je me sens mal. Je n’ai presque rien mangé des trois jours que j’ai passé à la clinique, ce qui a beaucoup inquiété les infirmières. La soupe au maïs… Errrrrg. Rien que d’y penser j’ai envie de mourir.
23 24 25 avril – Retour à l’hôtel, J+4 à +6
J’étais dans les vapes le matin du quatrième jour, quand on a commencé à me préparer à rentrer à l’hôtel. Il était six heures. On m’a lavée, fait manger, pris mes médocs, on m’a retiré mes drains de sang et ça je m’en rappelle très bien parce que ce sont deux broches et j’ai encore les cicatrices, et j’ai distinctement senti le métal onduler quand on me les a enlevées. J’ai gémi parce que gémir c’est ce qu’on fait quand on ne peut pas hurler. Cf. jours précédents. Puis on m’a fait lever (eerrrrrg), on m’a mis mon sous-tif, on m’a fait enfiler ma robe… Un zombie. Et on m’a conduite à la voiture, à petits pas. Uuuuh c’était dur dur dur. On m’a fait asseoir sur le donut et mon dieu c’était dur. Je dormais et je gémissais en même temps.
mon donut. Un coussin jaune avec un trou au milieu qui réduit la douleur en position assise
20 minutes et me voilà à l’hôtel. Ma compagne m’a récupérée et on m’a allongée sur le lit après m’avoir déshabillée. Ce qui s’est produit pendant les 3 jours qui ont suivi, honnêtement, je ne m’en souviens plus. J’ai principalement dormi, je crois. Je me réveillais pour boire mon bouillon vite fait et je me rendormais. J’ai du faire peut être deux ou trois grilles de mots croisé en trois jours. Ou alors je n’en ai pas fini une seule. Aucune idée. Ma compagne vidait ma poche urinaire régulièrement. Comment font les femmes qui viennent ici seules ? Je n’aurai jamais pu me lever une seule fois durant ces 3 jours pour vider ma poche et manger. Et si on ne me réveillait pas pour les médicaments toutes les quelques heures, je ne me serais jamais réveillée seule. Et savoir combien en prendre ? J’ai eu plus d'une dixaine de médocs différents, encore aujourd’hui j’en oublie alors que j’en ai plus que trois types. J’ai eu des phases d’insomnie, clouée sur le dos, sans la force de faire quoi que ce soit, à regarder couler les heures.
Le pire, c’est les faux mouvements, et la peur permanente qu’une couture craque. Une fois j’ai lâché le paquet de serviettes sur mon drain urinaire. J’ai senti mon urètre grincer et j’ai gémi à n’en plus finir. Être moins qu’un être humain, à moitié mort au moindre mouvement, incapable de tenir un objet, incapable de bouger, ce n’est pas très rigolo.
Les infirmières ne sont pas venues le 24 car c’était dimanche (dur ! Mais elles en ont bien besoin avec les heures qu’elles font), et le lundi 25 elles sont venues me voir pour me dire qu’on m’enlevait mon packing le lendemain. Elles passeront ensuite tous les matins, sauf le dimanche, jusqu’à mon départ. Je n’étais pas vraiment triste à l'idée de me débarrasser de la ceinture de chasteté. Mon coccyx pelait et saignait d’être restée 7 jours sur le dos, j’étais endolorie de ne pas pouvoir changer de position et je n’espérais qu’une chose : qu’on m’enlève enfin ce truc et qu’on mette un terme à la torture.
les images de cette période sont trop moches, alors à la place voici une photo de ma petite soeur.
elle a aussi une grosse couche, elle mange aussi des trucs horribles, et elle est aussi à Bangkok.
Mais elle au moins elle fait autre chose que pleurer et dormir. (si, si)
La bonne nouvelle, c’était que j’avais enfin le droit de manger solide. Nous avons fêté ça le soir même avec un plat thaï et un peu de mangue. Le 25, j’allais déjà beaucoup mieux. Je pouvais parler, lire un peu, faire quelques mots croisés. J’ai essayé d’aller aux toilettes car l’infirmière m’avait dit « you can poo poo if you need », mais c’était illusoire. On était à J+6, et au final je n’ai pas « poo poo » avant J+16… Et tant mieux. Le fait de poo-poo tire beaucoup sur la zone et ne facilite pas du tout la récupération.
26 avril – Retrait du Packing, J+7
Les infirmières sont venues le matin pour m’enlever le packing. Il faut savoir, même si je n'en ai pas parlé sur facebook pour ne déprimer personne, que j'ai pleuré un peu tout le temps, du jour de mon opération au jour de mon départ. La douleur, mais surtout l’épuisement, l’usure, la peur permanente de tout : d’avoir choppé une infection, d’avoir fait sauter une suture, d’avoir une fistule… Emotional rollercoaster all the way. Le jour du retrait du packing était l'un des pires.
Le retrait du packing était une délivrance, mais aussi un des moments les plus flippants. On te « déballe » et il y a du sang séché partout. C’est le moment ou tu vois pour la première fois ton entrejambe et si c’est 100 fois plus beau que ce qu’on peut voir des autres chirurgiens sur internet (ça ressemble à une vulve et pas à un truc horrible), c’est quand même très gonflé et plein de fils à suture. Et puis les sensations… Dur à décrire. Le moment ou l’infirmière enlève 50 mètres de tissus du vagin comme si c’était un tour de magie et ou tu les sens sortir de toi… Les premiers touchers sur les grandes et les petites lèvres... Les cotons tiges qui nettoient des endroits nouveaux et inconnus... Le premier petit speculum, avec l’infirmière qui équipe sa lampe de mineur sur le front pour inspecter...
C’est le moment de la première dilatation. A peine sortie de l’oeuf, on te tend un dilatateur (un tube de 20 cm de long et de 2+ cm de large) et on te dit « vas-y, maintenant tu dois t’enfoncer ça dans le ventre, là ou c’est rouge et plein de point de suture, et tu dois appuyer fort et ça fait mal mais c’est tout à fait normal. Pour l’instant tu peux le faire qu’une fois 15 minutes, mais à terme ce sera 3 fois 1h par jour, alors profite. Hahahaha… ha… ha.
Bon dans mon cas personnel, pour diverses raisons que j’ignore mais qui ont probablement trait au fait que j’étais naturellement très serrée, j’ai eu le droit au dilatateur « 0 », de 2 cm de diamètre. La plupart des filles commencent au « 1 » à 2,3 cm mais déjà le 2 cm m’a paru horrible les premiers jours et je suis bien contente d’avoir commencé avec celui là. C’est aussi comme ça que l’infirmière définit ta « profondeur maximale » la première fois : ça va jusqu’à 18 cm pour certaines, mais ça peut descendre à 6 cm pour les malchanceuses. Quand le chirurgien estime que c’est trop dangereux de faire un vagin profond, il s’arrête avant. Dans mon cas, je suis à 15 cm, un chiffre idéal pour toutes sortes d’activités que je ne pratiquerais peut être jamais mais qui sait, ce n’est pas l’envie qui manque. ( )
Une fois la dilatation terminée dans la terreur et les larmes difficilement retenues, l’infirmière vérifie que tout va bien, nettoie doucement, scotche le drain urinaire (celui là je le garde…) et s'en va en me laissant avec ma poche et un sentiment de délivrance. Je pleure, évidemment, mais je me sens bien, aussi. Je mets une jolie petite culotte et la première serviette hygiénique d'une longue série sanglante.
maintenant je veux un t-shirt avec ça dessus
Après avoir bien pleuré comme à mon habitude, je dors trois heures derechef. Le retrait de ce truc aura vraiment été une délivrance sans nom. Je fais un rêve (le premier sans doute depuis l'opération), il y a une clairière, avec un canapé au milieu, et la lumière d'une fin d'après-midi... C'est doux et tranquille. Je me réveille, légère et calme, avec juste l'envie d'écrire un poème. Je l'écris d'une traite. Ce sera le dernier poème à être ajouté à mon recueil, et la dernière sieste que je ferai avant mon départ.
27 avril au 4 mai – Moi et ma poche, J+8 à +15
La semaine qui suit le retrait de mon packing est marquée par une amélioration rapide et constante de ma santé et de mon énergie. Le premier jour, je fais ma première marche, avec ma poche dans un sac. Et je prends ma première douche, qui m’épuise littéralement mais qui me fait un bien fou. J’arrête de dormir dans la journée, je mange énormément, je découvre la pizza à domicile grâce à une copine rencontrée sur place. (ma voisine qui a mon âge, qui est française aussi, qui mate des animes et qui me fait jouer à Overwatch… Oui oui oui) Et je me gave d’hawaïennes comme de bien entendu. (j’ai du bouffer 4 ou 5 large en l’espace de 8 jours) Je vais même tremper mes pieds dans la piscine. (pour tremper le reste il faudra attendre encore plusieurs mois malheureusement)
ma première marche.
mon père a bu pour oublier, et moi j'aimerais oublier que je n'ai pas bu
C’est le début des dilatations et l’arrêt des anti-douleurs lourds. 3 x 45 minutes par jour de dilatateur 0, puis le début du dilatateur 1 en fin de semaine (machine à écarteler de seulement 2.3 cm) Douloureux et flippant. Je saigne à chaque session, ce qui est tout à fait normal et attendu mais quand même horrible à vivre. Et bien sur mes sutures suintent et me font mal. Vive le paracétamol. Si le dilatateur 0 ressemble à un stylo, le dilatateur 1, à peine plus grand, m’effraie nettement plus. J’apprends à respirer et à me décontracter. Penser à quelqu’un qu’on aime aide vraiment (en tout cas moi) à se détendre. Et c’est à peu près la seule méthode que j’ai trouvée qui marche, d’ailleurs. J’écoute de la musique douce (Sade exclusivement) qui m’aide beaucoup à rester calme tout du long.
une de mes préférées
A l’heure actuelle j’ai du mal à croire que le numéro 4 (de 3.2 cm) va rentrer un jour, pas plus que le 3 (de 2.9 cm), alors quand j’ai appris au détour d’une page internet que la largeur moyenne d’un pénis d’homme était de 4 cm à son point le plus large, j’ai un peu flippé. Moi le mien était plutôt du genre stylo et j’imaginais que c’était la norme, mais apparemment pas du tout. Et après une petite discussion avec n°4, j’ai vite compris pourquoi les fellations donnent mal à la mâchoire. (lors d’une soirée très fun ou nous avons pu partager beaucoup d’informations classées confidentielles et tout à fait instructives)
« Mais ça ne va jamais rentrer », une phrase qui résume bien la situation et qui confirme définitivement que j’ai 14 ans d’âge mental.
le dilatateur 4 fait apparemment le même effet à tout le monde
(source : nikkimahoney.wordpress.com/ )
Durant cette semaine, ma poche urinaire me suit partout. Je dois la vider très souvent. Parfois elle se remplit toute seule d’un coup dans une série de douleurs. Mais surtout, elle rend tous mes mouvements difficiles. Se doucher, laver les dilatateurs, ouvrir la porte… Tout est compliqué par la poche, surtout que je ne suis pas du tout flexible. Des séries de gestes qui prendraient 30 secondes me prennent 5 minutes et me mettent physiquement en danger. Les infirmières viennent tous les matins nettoyer avec des cotons-tiges mes petites lèvres (que je n’ai pas le droit de toucher, c’est la partie la plus fragile) et surveiller mon état de santé et ma guérison, me ravitailler en paracétamol si besoin et m’informer de tout développement utile.
C’est aussi le vrai début des douleurs de reconnexion, ces décharges électriques sourdes ou aiguës qui se produisent quand un nerf se « répare ». Je n’en ai pas parlé avant, mais si je subis depuis l’opération des douleurs dans la jambe gauche de temps en temps, c’est paradoxalement la droite qui a le comportement le plus étrange : des nerfs y ont été endommagés, rendant la surface extérieure de la cuisse insensible. Un frottement de tissu va automatiquement me brûler, et souvent je dois la sortir des draps. C’est un effet connu (à priori la méralgie parasthésique) et qui va prendre de nombreux mois à se résorber. Les décharges sont principalement dans cette jambe, et bien sur dans le vagin et la vulve en général. Les grandes lèvres redeviennent rapidement sensibles, et certains parties du vagin redeviennent progressivement sensibles également.
5 mai au 10 mai – Libérée, Délivrée, J+16 à J+21
La dernière semaine du voyage est la plus agréable. Le 5 mai, on m’enlève finalement mon drain urinaire. Pour ce faire, l’infirmière doit dégonfler la mini-poche à l’intérieur de ma vessie grâce à une seringue placée dans le tube lui même, puis tirer sur le tube qui sortira en raclant mon urètre. Je suis sensée sentir une « sensation de brûlure » et je n’ai pas besoin de beaucoup d’imagination pour savoir que ma compagne devra me tenir la main. Elle tire, elle tire, ça dure 5 ou 10 secondes, interminables, je gémis tout du long en essayant de ne pas pleurer (je préfère attendre qu’elles soient parties pour fondre en larmes, généralement).
Finalement c’est fini, l’infirmière me donne des pilules pour m’aider à faire pipi et m’explique la marche à suivre. Plus de poche urinaire. Je suis enfin délivrée du « boulet ». J’ai du mal à réaliser. Je suis enfin redevenue un être humain. Tout devient beaucoup plus simple. Et je pense à mon grand-père qui a baladé sa poche je ne sais combien de temps et à ce qu’il a du ressentir. Et je pense aussi à ma grand-mère qui n’est plus autonome et à quel point c’est chiant de ne plus être autonome. J’ai pensé à elle le matin ou ma compagne dormait et ou j’ai fait tomber la bouteille de jus de fruit par terre, que j’ai regardée se vider lentement sans pouvoir rien faire, sans pouvoir me baisser ou nettoyer, et ou je me suis mise à pleurer. Je suis contente d’être jeune et valide.
J’ai repris les hormones un peu en avance, car je ne supportais plus ma tête. 3 semaines sans hormones et mes seins ont réduit de moitié (déjà que j’étais plate…), mon visage et mes membres se sont remasculinisés (le régime forcé n’a pas aidé), j’ai des poils qui repoussent à des endroits ou il n’y en avait plus (eeeek ;_; ) et j’ai du duvet qui s’est assombri sur le visage (re -eeeeek). Je ne rentre pas dans les détails complexes de l’hormonothérapie mais ce genre de trucs sont durs à vivre. Même si je m’aime bien et que je survis plutôt bien à ce genre de désagréments tant qu’ils sont passagers, je n’ai pas forcément envie qu’on me voit comme ça (et surtout pas les personnes dont je suis amoureuse même si in fine elles m’ont connue toutes les deux bien avant ma transition…)
Le 7 mai, c’est le rendez-vous chez le chirurgien. J’appréhende un peu ce rendez-vous car on m’a parlé de speculums, et quand on a du mal à dilater à plus de 2 cm un speculum ça fait un peu peur. Je me lève à 6h30 car je dois dilater 2h avant. A 9h00 le chauffeur vient me chercher et je suis emmenée à la clinique. Là, on me déshabille, on me refait enfiler le peignoir à l’envers, on me remet le chapeau médical, et pour être franche je n’en mène pas vraiment large. On me conduit dans la salle d’examen (qui est sans doute la salle d’opération d’ailleurs), on me fait allonger, on écarte mes jambes, on fait plein de trucs bizarres, puis le chirurgien arrive, à nouveau plein de trucs bizarres (et je me retiens de pleurer tout du long, j’ai les jambes qui tremblent et je suis morte de peur). Je n’ai pas compris grand-chose à ce qu’ils ont fait, ils ont enlevé des trucs, inspecté, lavé, et au bout de 20-30 minutes c’était fini, le chirurgien m’a dit que j’avais fait du bon travail et que ça cicatrisait très bien. Je n’ai pas souffert de l’inspection et je n’ai pas senti de speculum, ça devait être un petit j’imagine. Et je n’ai pas pleuré (je crois). Youpi. Avant de partir le chirurgien m’a raccompagnée en bas, m’a serré la main et m’a même prise dans ses bras. Un type vraiment adorable en plus d’être ultra-compétent, professionnel et rassurant.
C’était la dernière procédure médicale que j’avais à faire à Bangkok et je suis rentrée à l’hôtel pour me reposer. Le 9, les infirmières me disent que j’ai tellement bien cicatrisé que je peux aller visiter un peu Bangkok. Le 10, je vais donc monter le golden mount, 1h à 2h de bateau, 300+ marches à monter et une super expérience. Ensuite, c’est la dernière nuit avant le départ.
Golden Mount. Si je fais l'andouille, c'est que je vais mieux
11 mai – Le retour, J+22
Après un délicieux Yakiniku le midi (décidément je préfère de loin la bouffe jap à la bouffe thai…), nous faisons nos valises et nous préparons à partir. Le voyage en avion promet d’être horrible : 12h, plutôt 16h porte à porte, sachant que je ne tiens pas plus de 30 minutes assise… Il faut dilater juste avant et juste après, mais ça signifie malgré tout sauter une dilatation, ce qui promet des douleurs à la suivante. (surtout après 12 heures de vol...)
Finalement c’est moins pire que prévu : grâce à la lettre du chirurgien, on me récupère en fauteuil roulant, je ne fais pas la queue nulle part, je passe aisément les différentes douanes, et s’il est vrai que j’attire pas mal l’attention, j’arrive dans l’avion en n’ayant pleuré qu’une seule fois.
la meuf fait genre elle a du style alors qu'elle a piqué ses fringues à sa copine,
qu'elle se déplace en fauteuil roulant et qu'elle est assise sur un gros donut jaune.
Dans l’avion, bonne surprise : on a une rangée entière pour nous (merci la lettre du chirurgien et la densité faible de voyageurs), il n’y a aucun enfant, et tout le monde dort. Quelques paracétamols plus tard, je m’endors allongée la tête sur les genoux de ma compagne et je pionce 10h de suite. Le trajet m’aura paru court. Et heureusement, parce que les 20 minutes de décollage ou je dois rester assise m’ont mise au bord des larmes, et l’heure de taxi pour rentrer m’a poussée à mes limites.
Mais ça y est, on est rentrées, et je suis entière, en vie, et sans complication visible. Ouf !
Le futur
Et maintenant, qu'est-ce qui m'attend ?
Je suis encore en convalescence pour 2 mois, ce qui signifie que jusqu’à mi-juillet, je n’ai pas le droit d’avoir de relations sexuelles vaginales, d’écarter mes petites lèvres, de prendre de bains / me baigner… Je dois me reposer et rester un maximum allongée les deux prochains mois. La position assise et le croisement de jambes aisés, c’est pas pour de suite.
J’ai toujours des sutures visibles, douloureuses, même si elles commencent à s’estomper et si visuellement ça commence de plus en plus à ressembler à une vulve normale. Je n’ai pas encore vu mon clitoris ni l’intérieur de mes petites lèvres et je ne peux pas m’attendre à les voir pour l’instant. Le mont de vénus est encore très très gonflé. J’ai jeté une ou deux fois un œil à l’entrée du vagin et je ne suis pas sure d’avoir vraiment envie de voir ce qu’il y a dedans et autour : c’est clairement loin d’être soigné.
Au niveau sensoriel, la sensibilité revient petit à petit dans certaines zones. (elle est toujours présente dans d’autres) Les petites lèvres sont extrêmement sensibles, tandis que l’intérieur du vagin est pour l’instant sensible à uniquement deux endroits. Il est beaucoup trop tôt pour parler de possibilités d’orgasme, mais normalement les patientes du Dr. Chett peuvent ressentir du plaisir clitoridien ET vaginal, si tout se passe bien. Là encore, il faudra sans doute attendre 3, 6, voire 9 mois pour que tout rentre dans l’ordre.
Il faut de 9 mois à 1 an pour que le sexe dans son ensemble prenne son aspect à peu près définitif. Un suivi par une gynéco est prévu et conseillé : les infections et les complications sont possibles jusqu’à 6 mois, et même parfois davantage. Les dilatations se poursuivent au rythme de 3-5h par jour pendant 1 an, ensuite on peut baisser un peu le rythme. (certaines femmes trans finissent par se contenter d’une petite dilat rapide par jour, voire de 2 par semaine après plusieurs années, puis plus du tout, surtout si elles ont une vie sexuelle active) Quant à savoir si j’arriverai au numéro 4 un jour, et dans combien de temps… Mystère !
Bref, l’opération et le premier mois ne sont que le début. Il y a encore énormément de travail.
liste non exhaustive de matériel post opératoire. Yup, il y a du boulot.
Je ne compte pas faire d’autres opérations, je n’ai pas l’argent pour et je ne les juge pas très utiles. Je n’ai aucune envie de repasser sur le billard. Il y a cette tentation de vouloir être plus jolie / attirante / sexy pour plaire davantage aux personnes qu'on aime, mais j'essaye de la refréner du mieux que je peux. Par contre je compte modifier un peu mon traitement hormonal pour faciliter la pousse de mes seins qui est très très lente. Mon objectif n’a jamais été esthétique, mais purement fonctionnel : il s’agit juste de me sentir mieux dans ma peau. A ce titre la SRS a bien aidé, sans non plus changer ma vie.
Je n’estime pas avoir vécu une « renaissance » comme j'entend souvent le terme. Je suis toujours la même personne. ( Je ne suis pas plus une fille qu'avant. D'ailleurs je suis plutôt un garçon ! ) Je me sens juste un peu moins gênée dans ma culotte et dans mes mouvements, je suis un peu plus à l’aise à l’idée de faire l’amour... Et je n’ai plus besoin de prendre mon médicament le plus toxique. Rien de vital ou de transcendant au final. C’est un investissement sur le long terme. Mais clairement pas une renaissance.
Mais je mentirais si je disais que c'est pas le pieds, quand même. ;-)
Posté le 13 mai 2016 :
27 jours en Thaïlande
Je préfère prévenir : ce billet de blog va être trash, très long, contenir beaucoup trop d’informations, et violemment manquer de pudeur. Un peu comme moi quoi. Si vous êtes intéressé par ce que j’ai vécu en Thaïlande, dans les détails, je vous encourage à continuer. C’est un récit de voyage. Mais c’est aussi le seul blog post que je ferai sur le sujet, et il est exhaustif. Si vous vous posez des questions sur la chirurgie, tout est probablement là-dedans.
Je n’étais pas partie pour faire du tourisme. 27 jours en Thaïlande, c’est à peu près le temps nécessaire pour subir et commencer à se remettre d’une chirurgie de réassignation génitale (SRS). Comme la plupart des lecteurs de ce blog le savent, je suis une personne trans, ce qui signifie dans mon cas que mon anatomie physiologique rentre en conflit avec ma euh… nature. Je me sens nettement mieux dans mes baskets quand une grande quantité d’oestrogènes me coule dans les veines et quand j’ai un vagin et non un pénis. Ce genre de choses arrivent. On peut vivre avec et être dépressive toute sa vie, ou on peut prendre son courage a deux mains et faire ce qu’il faut pour que ça aille mieux. (et être toujours dépressive mais un peu moins) Je ne reviens pas sur tout ça, je l’ai déjà traité sur ce blog précédemment.
Je n’ai jamais détesté ce machin entre mes jambes. Je n’ai juste jamais bien compris ce qu’il faisait là, mais je ne l’ai jamais haï. Mais ça fait quelques semaines qu’il est parti et j’ai du mal à croire qu’il a un jour été là. Berk. Rétrospectivement ça me dégoûte un peu, alors que ça ne me dégoûtait pas à l’époque. Marrant. Il y a beaucoup de femmes trans qui ont un « aftershock » violent et ont du mal à s’habituer à la perte de leur engin, quand bien même elles le détestaient. Ironiquement, alors que je ne le détestais pas, ma nouvelle physionomie me semble tellement naturelle que j’ai plutôt du mal à me rappeler comment c’était avant.
Mais si je veux que vous compreniez, il va falloir tout reprendre du début. Allons-y.
Un premier aparté sur le type d’opération
J’ai personnellement signé pour une opération de chirurgie génitale (SRS), c’est à dire pour avoir un vagin à la place de mon pénis. Et uniquement pour ça. Il existe d’autres opérations populaires, voire plus populaires. En voici une liste :
- BA : augmentation mammaire. une procédure à laquelle les femmes cis ont aussi recours et qui consiste à augmenter sa poitrine. C’est souvent l’opération la plus douloureuse.
- FFS : féminisation du visage. Il s’agit de donner à sa tête une forme et des traits plus proches de ceux d’une femme cisgenre moyenne. Une opération paramétrable dont vous pouvez voir des exemples et apprécier les subtiles différences ici : 2pass.eu/portfolio/. C’est une opération qui permet notamment de se faire passer plus facilement pour une femme cisgenre afin d’avoir moins d’ennuis. (et du reste beaucoup de femmes trans ne supportent pas leur visage) A noter que certaines femmes cis y ont aussi recours quand leur visage est trop masculin.
- VS : chirurgie des cordes vocales. Il y a différentes méthodes mais en gros l’idée est de rendre la voix plus féminine. Généralement on lui préfère des cours d'orthophonie, longs et difficiles, mais plus souvent efficaces.
- AAR : Réduction de la pomme d’adam : il s’agit de « râper » celle-ci afin qu’elle ne se voie plus. C’est une opération mineure et peu coûteuse.
Parmi ces opérations, seule la SRS est « fonctionnelle » (bon et un peu la BA aussi). Les autres sont « visuelles » en ce qu’elles ne modifient que l’apparence, mais nécessaires en ce qu’elles permettent à de nombreuses femmes trans de cacher leur transidentité. Cela leur permet de vivre normalement, de se fondre dans la masse, de ne pas se faire tuer, et de trouver un travail. Cela leur permet aussi de moins se détester et de moins facilement sombrer dans la dépression.
De nombreuses femmes trans, surtout jeunes, n’ont pas besoin de toutes ces opérations mais beaucoup les font quand même par envie et par sécurité. Personnellement, je ne ressens pas le besoin d’avoir une grosse poitrine qui risque de me faire mal au dos (mon bonnet A me convient très bien et m’est tout à fait naturel), ma pomme d’adam est discrète (et même si les gens la remarque je m’en fous…), quant à mon visage si il est masculin, je l’aime bien tel qu’il est. Pour la voix, je fais des exercices d’orthophonie mais c’est un travail très long et difficile et qui ne me motive pas vraiment. Je n’ai jamais eu envie d’être prise pour une femme cis. Je suis une femme trans et je trouve ça cool. C’est une espèce rare. (et en danger huhuhu) Et je trouve ça cool les espèces rares ! (mais pas trop d’être en danger, d’où l’orthophonie)
A tout ça il faut bien sur ajouter le traitement hormonal, qui n'est pas une opération mais qui est le plus important et le plus courant. Il change littéralement le corps entier : les traits, les formes, la graisse, les seins, les organes internes, la pilosité, l’odeur corporelle, … C’est une gigantesque usine intérieure qui repose sur des principes naturels et qui est capable, très lentement et sans artifice, de changer un peu tout et n’importe quoi sans qu’on ait d’ailleurs la liste exhaustive. (on peut même allaiter !) Je suis sous traitement hormonal depuis 10 mois, et il faudra sans doute encore une bonne année pour que j’aie un aperçu des effets complets, mais pour moi c’est le plus important et ce qui me fait me sentir le mieux. Le traitement hormonal se continue à vie, mais sa composition change en fonction de la situation.
15 avril – Arrivée à Bangkok
Le billet a été pris 4 mois auparavant. Les premiers contacts avec l’équipe du chirurgien remontent à plus d’un an. Il a fallu planifier, faire de nombreux examens médicaux à Paris, avoir un suivi psychiatrique minimum, éviter certaines pratiques et si possible se maintenir en forme (inutile de dire que j’ai zappé la dernière étape). Et bien sur lire des centaines et des centaines de pages de forum sur des retours d’expérience, des trucs à éviter, des trucs à faire… Sans rentrer dans les détails sans intérêt, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Je suis venue avec ma compagne et nous restons pour 27 jours ; mon père, ma belle-mère et ma petite sœur de 1 an nous accompagnent les deux premières semaines. La clinique est dans Bangkok même, et notre hôtel est à 15-20 minutes en voiture de celle-ci.
aéroport de Bangkok, vue d'artiste (fatiguée)
Nous arrivons à l’hôtel vers 7 heures du matin, épuisées. Nous avons peu dormi dans l’avion et nous nous endormons en arrivant. Le chauffeur qui nous a récupérées nous a fourni une lettre avec l’heure du rendez-vous le lendemain, et le régime alimentaire à suivre. Uniquement des liquides clairs dès le 16 : eau, bouillons, jus de fruits sans pulpe, sodas. Je n’ai donc guère que deux repas devant moi pour profiter de la cuisine Thaï. Un seul en fait, puisque nous avons trop mangé dans l’avion et pas assez dormi. Notre seule activité le 15 consistera donc à aller au supermarché du coin et à acheter tout plein de trucs essentiels à notre survie dans les semaines à suivre, pour équiper notre petit cottage et pour remplir notre frigo. Le soir, nous mangeons au restaurant du bar.
16 avril – Rendez-vous à la clinique
Le chauffeur vient nous chercher dans la matinée. L’administration de la clinique doit vérifier nos différents certificats et pièces d’identité, récupérer les versions papier de nos analyses… Ce n’est pas une grande clinique mais on est vite surpris du nombre de personnes qui travaillent dedans.
Une fois que tout ceci est fait, on m’emmène voir le chirurgien à l’étage d’au-dessus. Il s’agit du docteur Chettawut, un homme adorable et considéré ces dix dernières années comme l’un des 5 meilleurs chirurgiens du monde dans le domaine. (dont 4 Thais et 1 Canadien)
on oublie les pantalons : il fait 40°C, et post-op ce serait du suicide
Rien de bien effrayant : le docteur me parle de la procédure, me présente les médicaments à prendre au préalable (une armée de laxatifs). Prends des photos de mes parties génitales sous différents angles (je lui en avais déjà envoyé). Il ne s’agit pas d’être pudique, mais je suis personnellement trop terre à terre pour l’être et je sais que ce qui m’attend sera de toutes façons bien pire. Son anglais est excellent, et du reste je n’ai pas vraiment de question, m’étant beaucoup renseignée au préalable.
Je repars avec mes médicaments pour prendre le bol de bouillon et le verre de coca qui m’attendent.
Un second aparté sur la qualité et les risques des chirurgies
La qualité d’une opération de chirurgie génitale se mesure a trois facteurs essentiels :
[1] la sécurité de l’opération et les risques de complication (ou plutôt la gravité statistique des complications car c’est le genre d’opération complexe ou il y a TOUJOURS des complications) ;
[2] la ressemblance et l’esthétique visuelle ;
[3] la ressemblance et la qualité fonctionnelle (sensations, emplacement des organes, …)
Les meilleurs chirurgiens du monde sont tous excellents dans les trois domaines, mais le Dr. Chettawut est nettement moins cher que ses collègues (12 000€ en prenant tout en compte) ce qui en fait le choix privilégié pour les personnes qui ne peuvent pas se permettre une opération à 20 000€ ou plus. Pour financer mon opération, j’ai du lever 7500€ de dons auprès de mes proches grâce à la campagne indiegogo de mon recueil de poèmes, et emprunter 6000€ par ailleurs. Je croule déjà sous les dettes, je ne peux pas me permettre 2000€ de plus et je suis donc heureuse de cet état de fait.
Pourquoi ne pas le faire en france, ou nous avons sans doute de meilleurs chirurgiens que tous ces « bouchers » thaï ? Eh bien en fait, il y a plusieurs préjugés là dedans. Il y a l’idée que la Thaïlande est un pays lointain et barbare ou on opère à la machette et ou on ne connaît pas les antibiotiques. Il y a l’idée que la qualité d’une chirurgie dépend du niveau de vie moyen d’un pays. Et il y a l’idée qu’on est forcément fort dans tous les domaines médicalement parce qu’on est français.
La vérité, c’est qu’en France, comme dans la plupart des pays occidentaux, nous sommes nuls en SRS, et parfois même catastrophiques et dangereux. Des équipes médicales française ont du fermer par le passé à cause de leurs résultats effroyables. Des vies ont été ruinées. Nous avons une seule équipe dans toute la france qui offre des résultats corrects (même si à des années lumières des meilleurs), et cette équipe connaît des listes d’attente de plus de 3 ans. Un chirurgien est bon si il a de l’expérience. Les meilleurs chirurgiens font 200, 300+ opérations par an. La plupart des autres font 30 opérations par an au mieux, parfois moins. Une équipe qui fait 7 opération par an n’a pas l’expérience requise pour opérer correctement. Aller voir un chirurgien qui a fait 50 opérations dans sa vie quand on peut aller en voir un qui en a fait 3000, c’est du suicide.
Par ailleurs la France est extrêmement transphobe et pour avoir accès à la seule équipe correcte, il faut d’abord passer par un « parcours officiel » qui ressemble davantage à du harcèlement moral qu’à un procédé médical. (pensez à ce qu’on vous fait subir quand vous voulez avorter aux US, multipliez ça par 100 et vous aurez une idée de ce qu’il faut prendre dans la figure pour finir le protocole « officiel »).
D’ailleurs la france viole un certain nombre de résolutions européennes sur le sujet, et je ne parle même pas du droit des trans en ce qui concerne la procréation assistée parce que c’est une vaste blague.
La Thaïlande avec 4 chirurgiens parmi les 5 meilleurs est le meilleur choix à l’international pour la plupart des résidentes de pays occidentaux ou asiatiques qui peuvent financièrement se le permettre. Tout simplement parce qu’en Thaïlande, la SRS est non seulement énormément pratiquée, mais également enseignée en école de médecine. Et là est toute la différence. La Thaïlande peaufine son opération depuis 30 ans, sur des dixaines de milliers de personnes ; elle connaît tous les cas spéciaux, toutes les réactions étranges, elle améliore sans cesse son protocole... La france, elle, n’y connaît rien. Son seul bon chirurgien a du se former... Au Canada. Nous avons 20 ans de retard sur les Thaïs, tout simplement.
17 et 18 avril – Repos et Laxatifs
Le matin du 17, nous allons visiter le centre commercial le plus proche, à 15 minutes en taxi. Je dois racheter un ordinateur portable, le mien ayant rendu l’âme en arrivant. (grrrr !) Un achat dur à avaler vu mes problèmes financiers mais qui s’avérera salvateur et nécessaire par la suite.
Le soir du 17, je prends des légers laxatifs, et quelques heures plus tard les choses désagréables commencent. Je ne suis pas très réactive aux laxatifs mais par contre très réactive au nettoyage forcé du côlon. Il s’agit d’une poire à enfoncer dans son derrière (miam -_- ) on conseille de laisser le liquide agir plusieurs minutes (idéalement 15 min) mais j’ai personnellement tenu, sans plaisanter, environ 6 secondes. Suivies de trente minute aux toilettes à avoir l’impression qu’un troupeau de palominos me passaient dans le ventre et à détester l’univers entier. Oh well.
ça fait beaucoup de médocs... mais ce n'est que le début
Le 18, je dois boire du Swiff. On m’avait dit que ce serait dégueulasse et c’est vrai que c’est sans doute le truc le plus dégueu que j’ai bu de ma vie, mais mélangé avec du coca ça allait. Les quantités à consommer n’étaient pas délirantes, réparties sur la journée. Je devais aller aux toilettes toutes les heures environ et boire beaucoup mais c’était efficace et je pense avoir bien fait mon travail dans l’ensemble. J’ai pris le parti de ne boire plus que de l’eau, afin d’être sure que tout soit propre. Le chirurgien ne veut pas le moindre mouvement de l’intestin pendant l’intervention pour des raisons évidentes. Personne ne veut d’une fistule accidentelle entre le colon et le vagin – faire caca par le vagin ce n’est pas très rigolo ; ce n’est pas mortel mais c’est horrible à soigner et ça peut incapaciter à vie. Ce genre de complication, courante chez les chirurgiens médiocres, n’arrive jamais chez les bons chirurgiens. (PS : j’avais dit que ce serait trash )
oui j'ai regardé IT Crowds pendant le voyage
J’ai préféré le swiff à l’épisode de la poire, mais aucun des deux n’était franchement agréable et je ne remettrais pas ça demain pour le plaisir. Le soir j’ai bien essayé de dormir, mais franchement c’était difficile. J’ai du dormir en tout et pour tout 2 heures. De toutes façons qui a besoin de dormir avant une anesthésie générale ?
19 avril – l’opération, J+0
On venait me chercher à 13h00, mais il a fallu me lever à 6h30 pour boire beaucoup – car à partir de 7h, toute consommation de quoi que ce soit était interdite. Pas d’eau donc jusqu’à l’opération. Ayant dormi 2h inutile de dire que je n’étais pas bien fraîche.
Arrivée à la clinique j’étais bien stressée. On m’a fait me déshabiller intégralement, mettre un capuchon sur mes cheveux, enfiler un peignoir à l’envers et on m’a fait allonger dans la petite chambre chaleureuse à côté de la salle d’opération. (pas chaleureuse elle) L’attente a commencé. On m’a expliqué comment utiliser la TV et j’ai réussi à chopper « des chiffres et des lettres » en français ce qui m’a permis de faire travailler ma tête et d’oublier un peu ce qui allait m’arriver. Au début l'infirmière avait mis une série lambda. C’était une scène interminable et triste à périr dans un cimetière, sous la pluie. Juste avant une opération médicale, alors qu'on stresse à mort, c'est pas vraiment le truc qu'on a envie de voir. J’avoue avoir ricané à l’ironie de la situation. Paradoxalement ça m’a remonté le moral. (je suis comme ça que voulez-vous)
Les infirmières sont venues me raser l’entrejambe. Un épisode qui manquait clairement de pudeur mais comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas très pudique et j’ai vécu pire. (une fois qu’on a subi un toucher rectal aux urgences par un docteur qui essaye en même temps d’empêcher une infirmière visiblement très curieuse de rentrer, on n’a plus peur de rien) L’infirmière en chef m’a ensuite expliqué tout un tas de choses, et notamment qu’il fallait que je respire profondément quand je me réveillerai. Je lui ai dit que j’allai probablement oublier. Je crois me rappeler qu’elle a rigolé.
Le temps a passé très lentement, des chiffres et des lettres entrecoupées de visites d’infirmières venues prendre ma tension, et toutes ces choses, et le chirurgien venu m’expliquer des trucs dont je ne me souviens absolument pas. Je me sens seule, ma compagne n’est pas là, Voyelle, Consonne, Voyelle, et hop, le jeu a fini par prendre fin et me voilà obligée d’essayer de trouver une autre chaîne. Il est genre 15h, ça fait plus d’une heure que je poireaute et finalement ça y est, on m’annonce que c’est mon tour.
"this is already a word. Tnetennba. Yes."
On me fait lever, on me prends par la main, et on m’accompagne gentiment dans mes pantoufles vers la salle d’opération. C’est une image que toutes celles qui sont passées par là on vécu mais j’avoue qu’elle est difficile à oublier : cette salle d’opération glauque, blanchâtre de néons, un simple lit au milieu et 8 ou 10 personnes alignés autour qui te regardent rentrer et te saluent. Il y a un côté cérémoniel extraordinaire, la poignée de main avec l’anesthésiste, rétrospectivement c’est horrible mais je suis fascinée. On me fait m’allonger en croix les bras écartés, on me cloue gentiment la paume droite à un tube, c’est très christique, on me dit de me détendre, j’avoue que ça fait un moment que je ne pense plus à rien de toutes façons, on me fait couler un liquide frais dans le bras (mon dieu je déteste ces trucs) et on insiste pour que je m’endorme mais HA !, ce n’est pas comme ça que vous aurez une insomniaque ! Hehehehe. Bon ils ont quand même du finir par y arriver parce qu’à un moment donné je me suis endormie et honnêtement, j’ai adoré ça. Si bien que je n’ai pas senti la grosse aiguille de la péridurale me rentrer dans l’épine dorsale et c’est très très bien comme ça.
L’opération aura été de courte durée, probablement 5h : vers 20h ma compagne recevait un mail lui disant que l’opération s’était bien passée. Je me souviens qu’on m’a dit de respirer profondément mais comme prévu j’ai oublié. J’ai juste respiré normalement, tranquillou. Je ne sais plus ensuite dans quel ordre se sont produites les choses. J’étais complètement bardée de câbles dans tous les sens et je ne sais plus trop lesquels étaient accrochés ou. Électrodes cardiaques, poche urinaire, drains de sang, perfusions... Je crois qu’on m’a débranché la péridurale à un moment donné et c’était pas agréable du tout mais j’étais trop sonnée pour capter. Je me suis endormie comme une merde. Une nurse a dormi la première nuit a côté de moi et me réveillait régulièrement pour que je prenne des cachets mais je me rendormais aussi sec.
20 21 22 avril – la clinique, J+1 à +3
Le réveil le lendemain matin s’est bien passé, dans la petite chambre chaleureuse. Je me suis redressée pour boire mon petit déjeuner (du lait de soja chaud et un chocolat chaud), je pétais la forme (enfin j’avais l’impression), et on a commencé à me débrancher pas mal de trucs. Et puis le moment difficile est arrivé : la descente des marches. Il faut bien comprendre que j’avais autour de la taille et des jambes ce qu’on appelle le « packing » : des bandes de compression, énormément de tissus divers… Une énorme couche-culotte sous une coque en fer, une vraie ceinture de chasteté dont dépassait simplement le drain sanguin et la sonde urinaire. Avec ça, on ne peut dormir que sur le dos, et on ne peut marcher qu’à tout petits pas.
On m’a faite lever, et on m’a aidée à marcher tout doucement et à descendre les marches jusqu’à la chambre ou j’allais passer les 3 jours suivants. Inutile de dire que je n’ai pas aimé l’expérience et que j’ai gémi tout du long. Mais là encore, trop sonnée de toutes façons. On m’a couchée dans la chambre chaleureuse au rez-de-chaussée, on m’a donné ma tablette et mes livres, ainsi qu’un téléphone pour appeler si ça n’allait pas. Je ne me sentais pas spécialement mal, et j’ai dormi. Et ça a commencé à faire mal. Doucement, dans la jambe gauche, puis de plus en plus fort. Je ne sais plus dans quel ordre les choses se sont produites. J’ai tenu aussi longtemps que j’ai pu puis j’ai appelé. On m’a donné mon tramadol, rien n’y a fait. Je me suis mise à pleurer. J’ai appelé à nouveau. Voyant que je pleurais, on m’a fait ce que je pense être une piqûre de morphine. Je crois que ça m’a calmée, je ne sais plus. J’ai posté un truc sur facebook mais mon bras droit ne m’obéissait plus et il tombait tout seul et c’était pas facile du coup.
Ma compagne est venue me rendre visite a quatorze heures (elle n’avait le droit qu’à une heure), et nous avons apparemment discuté, même si je ne me souviens pas vraiment. Apparemment je souffrais. J’ai dormi.
La deuxième nuit a été la pire. Je me suis mise à pleurer sans discontinuer de façon incontrôlable. Le chirurgien a été appelé à un moment donné pour jeter un œil car la situation devenait critique. Morphine, tramadol, somnifères doubles doses... Rien n’y faisait. Ma jambe gauche me lançait du genou jusqu’au dessus de la hanche de façon horrible, j’avais l’impression qu’on me l’arrachait. J’ai pleuré toute la nuit, impossible de dormir. Les infirmières essayaient de me calmer. J’ai l’historique des messages incohérents que j’utilisais toute l’énergie que j’avais à écrire à ma compagne et c’est dur à relire. La suite, je ne m’en souviens plus. La clinique, c’était 2 jours de douleurs intenables qui ont fini par se perdre dans une brume médicamenteuse le troisième jour. Le troisième jour je n’ai fait que dormir. Je n’arrivais plus à parler. Mon père est venu me rendre visite 3 heures avec ma compagne mais j’ai du réussir à dire deux mots. Je les entendais parler mais impossible de participer.
vu comme ça on dirait que c'est bien... mais non, vraiment pas
Rythmées par les visites des infirmières pour le nettoyage corporel (il fallait se tourner sur la droite puis sur la gauche en s’agrippant au lit – gémissements), le vidage de la sonde urinaire, le vidage du drain sanguin, les médicaments… Un vrai ballet dont je me souviens mal.
Si le premier soir j’aimais le chocolat au lait chaud et le lait de soja chaud, je pense que je ne pourrai plus jamais y toucher de ma vie. Rien que d’en imaginer l’odeur et je me sens mal. Je n’ai presque rien mangé des trois jours que j’ai passé à la clinique, ce qui a beaucoup inquiété les infirmières. La soupe au maïs… Errrrrg. Rien que d’y penser j’ai envie de mourir.
23 24 25 avril – Retour à l’hôtel, J+4 à +6
J’étais dans les vapes le matin du quatrième jour, quand on a commencé à me préparer à rentrer à l’hôtel. Il était six heures. On m’a lavée, fait manger, pris mes médocs, on m’a retiré mes drains de sang et ça je m’en rappelle très bien parce que ce sont deux broches et j’ai encore les cicatrices, et j’ai distinctement senti le métal onduler quand on me les a enlevées. J’ai gémi parce que gémir c’est ce qu’on fait quand on ne peut pas hurler. Cf. jours précédents. Puis on m’a fait lever (eerrrrrg), on m’a mis mon sous-tif, on m’a fait enfiler ma robe… Un zombie. Et on m’a conduite à la voiture, à petits pas. Uuuuh c’était dur dur dur. On m’a fait asseoir sur le donut et mon dieu c’était dur. Je dormais et je gémissais en même temps.
mon donut. Un coussin jaune avec un trou au milieu qui réduit la douleur en position assise
20 minutes et me voilà à l’hôtel. Ma compagne m’a récupérée et on m’a allongée sur le lit après m’avoir déshabillée. Ce qui s’est produit pendant les 3 jours qui ont suivi, honnêtement, je ne m’en souviens plus. J’ai principalement dormi, je crois. Je me réveillais pour boire mon bouillon vite fait et je me rendormais. J’ai du faire peut être deux ou trois grilles de mots croisé en trois jours. Ou alors je n’en ai pas fini une seule. Aucune idée. Ma compagne vidait ma poche urinaire régulièrement. Comment font les femmes qui viennent ici seules ? Je n’aurai jamais pu me lever une seule fois durant ces 3 jours pour vider ma poche et manger. Et si on ne me réveillait pas pour les médicaments toutes les quelques heures, je ne me serais jamais réveillée seule. Et savoir combien en prendre ? J’ai eu plus d'une dixaine de médocs différents, encore aujourd’hui j’en oublie alors que j’en ai plus que trois types. J’ai eu des phases d’insomnie, clouée sur le dos, sans la force de faire quoi que ce soit, à regarder couler les heures.
Le pire, c’est les faux mouvements, et la peur permanente qu’une couture craque. Une fois j’ai lâché le paquet de serviettes sur mon drain urinaire. J’ai senti mon urètre grincer et j’ai gémi à n’en plus finir. Être moins qu’un être humain, à moitié mort au moindre mouvement, incapable de tenir un objet, incapable de bouger, ce n’est pas très rigolo.
Les infirmières ne sont pas venues le 24 car c’était dimanche (dur ! Mais elles en ont bien besoin avec les heures qu’elles font), et le lundi 25 elles sont venues me voir pour me dire qu’on m’enlevait mon packing le lendemain. Elles passeront ensuite tous les matins, sauf le dimanche, jusqu’à mon départ. Je n’étais pas vraiment triste à l'idée de me débarrasser de la ceinture de chasteté. Mon coccyx pelait et saignait d’être restée 7 jours sur le dos, j’étais endolorie de ne pas pouvoir changer de position et je n’espérais qu’une chose : qu’on m’enlève enfin ce truc et qu’on mette un terme à la torture.
les images de cette période sont trop moches, alors à la place voici une photo de ma petite soeur.
elle a aussi une grosse couche, elle mange aussi des trucs horribles, et elle est aussi à Bangkok.
Mais elle au moins elle fait autre chose que pleurer et dormir. (si, si)
La bonne nouvelle, c’était que j’avais enfin le droit de manger solide. Nous avons fêté ça le soir même avec un plat thaï et un peu de mangue. Le 25, j’allais déjà beaucoup mieux. Je pouvais parler, lire un peu, faire quelques mots croisés. J’ai essayé d’aller aux toilettes car l’infirmière m’avait dit « you can poo poo if you need », mais c’était illusoire. On était à J+6, et au final je n’ai pas « poo poo » avant J+16… Et tant mieux. Le fait de poo-poo tire beaucoup sur la zone et ne facilite pas du tout la récupération.
26 avril – Retrait du Packing, J+7
Les infirmières sont venues le matin pour m’enlever le packing. Il faut savoir, même si je n'en ai pas parlé sur facebook pour ne déprimer personne, que j'ai pleuré un peu tout le temps, du jour de mon opération au jour de mon départ. La douleur, mais surtout l’épuisement, l’usure, la peur permanente de tout : d’avoir choppé une infection, d’avoir fait sauter une suture, d’avoir une fistule… Emotional rollercoaster all the way. Le jour du retrait du packing était l'un des pires.
Le retrait du packing était une délivrance, mais aussi un des moments les plus flippants. On te « déballe » et il y a du sang séché partout. C’est le moment ou tu vois pour la première fois ton entrejambe et si c’est 100 fois plus beau que ce qu’on peut voir des autres chirurgiens sur internet (ça ressemble à une vulve et pas à un truc horrible), c’est quand même très gonflé et plein de fils à suture. Et puis les sensations… Dur à décrire. Le moment ou l’infirmière enlève 50 mètres de tissus du vagin comme si c’était un tour de magie et ou tu les sens sortir de toi… Les premiers touchers sur les grandes et les petites lèvres... Les cotons tiges qui nettoient des endroits nouveaux et inconnus... Le premier petit speculum, avec l’infirmière qui équipe sa lampe de mineur sur le front pour inspecter...
C’est le moment de la première dilatation. A peine sortie de l’oeuf, on te tend un dilatateur (un tube de 20 cm de long et de 2+ cm de large) et on te dit « vas-y, maintenant tu dois t’enfoncer ça dans le ventre, là ou c’est rouge et plein de point de suture, et tu dois appuyer fort et ça fait mal mais c’est tout à fait normal. Pour l’instant tu peux le faire qu’une fois 15 minutes, mais à terme ce sera 3 fois 1h par jour, alors profite. Hahahaha… ha… ha.
Bon dans mon cas personnel, pour diverses raisons que j’ignore mais qui ont probablement trait au fait que j’étais naturellement très serrée, j’ai eu le droit au dilatateur « 0 », de 2 cm de diamètre. La plupart des filles commencent au « 1 » à 2,3 cm mais déjà le 2 cm m’a paru horrible les premiers jours et je suis bien contente d’avoir commencé avec celui là. C’est aussi comme ça que l’infirmière définit ta « profondeur maximale » la première fois : ça va jusqu’à 18 cm pour certaines, mais ça peut descendre à 6 cm pour les malchanceuses. Quand le chirurgien estime que c’est trop dangereux de faire un vagin profond, il s’arrête avant. Dans mon cas, je suis à 15 cm, un chiffre idéal pour toutes sortes d’activités que je ne pratiquerais peut être jamais mais qui sait, ce n’est pas l’envie qui manque. ( )
Une fois la dilatation terminée dans la terreur et les larmes difficilement retenues, l’infirmière vérifie que tout va bien, nettoie doucement, scotche le drain urinaire (celui là je le garde…) et s'en va en me laissant avec ma poche et un sentiment de délivrance. Je pleure, évidemment, mais je me sens bien, aussi. Je mets une jolie petite culotte et la première serviette hygiénique d'une longue série sanglante.
maintenant je veux un t-shirt avec ça dessus
Après avoir bien pleuré comme à mon habitude, je dors trois heures derechef. Le retrait de ce truc aura vraiment été une délivrance sans nom. Je fais un rêve (le premier sans doute depuis l'opération), il y a une clairière, avec un canapé au milieu, et la lumière d'une fin d'après-midi... C'est doux et tranquille. Je me réveille, légère et calme, avec juste l'envie d'écrire un poème. Je l'écris d'une traite. Ce sera le dernier poème à être ajouté à mon recueil, et la dernière sieste que je ferai avant mon départ.
27 avril au 4 mai – Moi et ma poche, J+8 à +15
La semaine qui suit le retrait de mon packing est marquée par une amélioration rapide et constante de ma santé et de mon énergie. Le premier jour, je fais ma première marche, avec ma poche dans un sac. Et je prends ma première douche, qui m’épuise littéralement mais qui me fait un bien fou. J’arrête de dormir dans la journée, je mange énormément, je découvre la pizza à domicile grâce à une copine rencontrée sur place. (ma voisine qui a mon âge, qui est française aussi, qui mate des animes et qui me fait jouer à Overwatch… Oui oui oui) Et je me gave d’hawaïennes comme de bien entendu. (j’ai du bouffer 4 ou 5 large en l’espace de 8 jours) Je vais même tremper mes pieds dans la piscine. (pour tremper le reste il faudra attendre encore plusieurs mois malheureusement)
ma première marche.
mon père a bu pour oublier, et moi j'aimerais oublier que je n'ai pas bu
C’est le début des dilatations et l’arrêt des anti-douleurs lourds. 3 x 45 minutes par jour de dilatateur 0, puis le début du dilatateur 1 en fin de semaine (machine à écarteler de seulement 2.3 cm) Douloureux et flippant. Je saigne à chaque session, ce qui est tout à fait normal et attendu mais quand même horrible à vivre. Et bien sur mes sutures suintent et me font mal. Vive le paracétamol. Si le dilatateur 0 ressemble à un stylo, le dilatateur 1, à peine plus grand, m’effraie nettement plus. J’apprends à respirer et à me décontracter. Penser à quelqu’un qu’on aime aide vraiment (en tout cas moi) à se détendre. Et c’est à peu près la seule méthode que j’ai trouvée qui marche, d’ailleurs. J’écoute de la musique douce (Sade exclusivement) qui m’aide beaucoup à rester calme tout du long.
une de mes préférées
A l’heure actuelle j’ai du mal à croire que le numéro 4 (de 3.2 cm) va rentrer un jour, pas plus que le 3 (de 2.9 cm), alors quand j’ai appris au détour d’une page internet que la largeur moyenne d’un pénis d’homme était de 4 cm à son point le plus large, j’ai un peu flippé. Moi le mien était plutôt du genre stylo et j’imaginais que c’était la norme, mais apparemment pas du tout. Et après une petite discussion avec n°4, j’ai vite compris pourquoi les fellations donnent mal à la mâchoire. (lors d’une soirée très fun ou nous avons pu partager beaucoup d’informations classées confidentielles et tout à fait instructives)
« Mais ça ne va jamais rentrer », une phrase qui résume bien la situation et qui confirme définitivement que j’ai 14 ans d’âge mental.
le dilatateur 4 fait apparemment le même effet à tout le monde
(source : nikkimahoney.wordpress.com/ )
Durant cette semaine, ma poche urinaire me suit partout. Je dois la vider très souvent. Parfois elle se remplit toute seule d’un coup dans une série de douleurs. Mais surtout, elle rend tous mes mouvements difficiles. Se doucher, laver les dilatateurs, ouvrir la porte… Tout est compliqué par la poche, surtout que je ne suis pas du tout flexible. Des séries de gestes qui prendraient 30 secondes me prennent 5 minutes et me mettent physiquement en danger. Les infirmières viennent tous les matins nettoyer avec des cotons-tiges mes petites lèvres (que je n’ai pas le droit de toucher, c’est la partie la plus fragile) et surveiller mon état de santé et ma guérison, me ravitailler en paracétamol si besoin et m’informer de tout développement utile.
C’est aussi le vrai début des douleurs de reconnexion, ces décharges électriques sourdes ou aiguës qui se produisent quand un nerf se « répare ». Je n’en ai pas parlé avant, mais si je subis depuis l’opération des douleurs dans la jambe gauche de temps en temps, c’est paradoxalement la droite qui a le comportement le plus étrange : des nerfs y ont été endommagés, rendant la surface extérieure de la cuisse insensible. Un frottement de tissu va automatiquement me brûler, et souvent je dois la sortir des draps. C’est un effet connu (à priori la méralgie parasthésique) et qui va prendre de nombreux mois à se résorber. Les décharges sont principalement dans cette jambe, et bien sur dans le vagin et la vulve en général. Les grandes lèvres redeviennent rapidement sensibles, et certains parties du vagin redeviennent progressivement sensibles également.
5 mai au 10 mai – Libérée, Délivrée, J+16 à J+21
La dernière semaine du voyage est la plus agréable. Le 5 mai, on m’enlève finalement mon drain urinaire. Pour ce faire, l’infirmière doit dégonfler la mini-poche à l’intérieur de ma vessie grâce à une seringue placée dans le tube lui même, puis tirer sur le tube qui sortira en raclant mon urètre. Je suis sensée sentir une « sensation de brûlure » et je n’ai pas besoin de beaucoup d’imagination pour savoir que ma compagne devra me tenir la main. Elle tire, elle tire, ça dure 5 ou 10 secondes, interminables, je gémis tout du long en essayant de ne pas pleurer (je préfère attendre qu’elles soient parties pour fondre en larmes, généralement).
Finalement c’est fini, l’infirmière me donne des pilules pour m’aider à faire pipi et m’explique la marche à suivre. Plus de poche urinaire. Je suis enfin délivrée du « boulet ». J’ai du mal à réaliser. Je suis enfin redevenue un être humain. Tout devient beaucoup plus simple. Et je pense à mon grand-père qui a baladé sa poche je ne sais combien de temps et à ce qu’il a du ressentir. Et je pense aussi à ma grand-mère qui n’est plus autonome et à quel point c’est chiant de ne plus être autonome. J’ai pensé à elle le matin ou ma compagne dormait et ou j’ai fait tomber la bouteille de jus de fruit par terre, que j’ai regardée se vider lentement sans pouvoir rien faire, sans pouvoir me baisser ou nettoyer, et ou je me suis mise à pleurer. Je suis contente d’être jeune et valide.
J’ai repris les hormones un peu en avance, car je ne supportais plus ma tête. 3 semaines sans hormones et mes seins ont réduit de moitié (déjà que j’étais plate…), mon visage et mes membres se sont remasculinisés (le régime forcé n’a pas aidé), j’ai des poils qui repoussent à des endroits ou il n’y en avait plus (eeeek ;_; ) et j’ai du duvet qui s’est assombri sur le visage (re -eeeeek). Je ne rentre pas dans les détails complexes de l’hormonothérapie mais ce genre de trucs sont durs à vivre. Même si je m’aime bien et que je survis plutôt bien à ce genre de désagréments tant qu’ils sont passagers, je n’ai pas forcément envie qu’on me voit comme ça (et surtout pas les personnes dont je suis amoureuse même si in fine elles m’ont connue toutes les deux bien avant ma transition…)
Le 7 mai, c’est le rendez-vous chez le chirurgien. J’appréhende un peu ce rendez-vous car on m’a parlé de speculums, et quand on a du mal à dilater à plus de 2 cm un speculum ça fait un peu peur. Je me lève à 6h30 car je dois dilater 2h avant. A 9h00 le chauffeur vient me chercher et je suis emmenée à la clinique. Là, on me déshabille, on me refait enfiler le peignoir à l’envers, on me remet le chapeau médical, et pour être franche je n’en mène pas vraiment large. On me conduit dans la salle d’examen (qui est sans doute la salle d’opération d’ailleurs), on me fait allonger, on écarte mes jambes, on fait plein de trucs bizarres, puis le chirurgien arrive, à nouveau plein de trucs bizarres (et je me retiens de pleurer tout du long, j’ai les jambes qui tremblent et je suis morte de peur). Je n’ai pas compris grand-chose à ce qu’ils ont fait, ils ont enlevé des trucs, inspecté, lavé, et au bout de 20-30 minutes c’était fini, le chirurgien m’a dit que j’avais fait du bon travail et que ça cicatrisait très bien. Je n’ai pas souffert de l’inspection et je n’ai pas senti de speculum, ça devait être un petit j’imagine. Et je n’ai pas pleuré (je crois). Youpi. Avant de partir le chirurgien m’a raccompagnée en bas, m’a serré la main et m’a même prise dans ses bras. Un type vraiment adorable en plus d’être ultra-compétent, professionnel et rassurant.
C’était la dernière procédure médicale que j’avais à faire à Bangkok et je suis rentrée à l’hôtel pour me reposer. Le 9, les infirmières me disent que j’ai tellement bien cicatrisé que je peux aller visiter un peu Bangkok. Le 10, je vais donc monter le golden mount, 1h à 2h de bateau, 300+ marches à monter et une super expérience. Ensuite, c’est la dernière nuit avant le départ.
Golden Mount. Si je fais l'andouille, c'est que je vais mieux
11 mai – Le retour, J+22
Après un délicieux Yakiniku le midi (décidément je préfère de loin la bouffe jap à la bouffe thai…), nous faisons nos valises et nous préparons à partir. Le voyage en avion promet d’être horrible : 12h, plutôt 16h porte à porte, sachant que je ne tiens pas plus de 30 minutes assise… Il faut dilater juste avant et juste après, mais ça signifie malgré tout sauter une dilatation, ce qui promet des douleurs à la suivante. (surtout après 12 heures de vol...)
Finalement c’est moins pire que prévu : grâce à la lettre du chirurgien, on me récupère en fauteuil roulant, je ne fais pas la queue nulle part, je passe aisément les différentes douanes, et s’il est vrai que j’attire pas mal l’attention, j’arrive dans l’avion en n’ayant pleuré qu’une seule fois.
la meuf fait genre elle a du style alors qu'elle a piqué ses fringues à sa copine,
qu'elle se déplace en fauteuil roulant et qu'elle est assise sur un gros donut jaune.
Dans l’avion, bonne surprise : on a une rangée entière pour nous (merci la lettre du chirurgien et la densité faible de voyageurs), il n’y a aucun enfant, et tout le monde dort. Quelques paracétamols plus tard, je m’endors allongée la tête sur les genoux de ma compagne et je pionce 10h de suite. Le trajet m’aura paru court. Et heureusement, parce que les 20 minutes de décollage ou je dois rester assise m’ont mise au bord des larmes, et l’heure de taxi pour rentrer m’a poussée à mes limites.
Mais ça y est, on est rentrées, et je suis entière, en vie, et sans complication visible. Ouf !
Le futur
Et maintenant, qu'est-ce qui m'attend ?
Je suis encore en convalescence pour 2 mois, ce qui signifie que jusqu’à mi-juillet, je n’ai pas le droit d’avoir de relations sexuelles vaginales, d’écarter mes petites lèvres, de prendre de bains / me baigner… Je dois me reposer et rester un maximum allongée les deux prochains mois. La position assise et le croisement de jambes aisés, c’est pas pour de suite.
J’ai toujours des sutures visibles, douloureuses, même si elles commencent à s’estomper et si visuellement ça commence de plus en plus à ressembler à une vulve normale. Je n’ai pas encore vu mon clitoris ni l’intérieur de mes petites lèvres et je ne peux pas m’attendre à les voir pour l’instant. Le mont de vénus est encore très très gonflé. J’ai jeté une ou deux fois un œil à l’entrée du vagin et je ne suis pas sure d’avoir vraiment envie de voir ce qu’il y a dedans et autour : c’est clairement loin d’être soigné.
Au niveau sensoriel, la sensibilité revient petit à petit dans certaines zones. (elle est toujours présente dans d’autres) Les petites lèvres sont extrêmement sensibles, tandis que l’intérieur du vagin est pour l’instant sensible à uniquement deux endroits. Il est beaucoup trop tôt pour parler de possibilités d’orgasme, mais normalement les patientes du Dr. Chett peuvent ressentir du plaisir clitoridien ET vaginal, si tout se passe bien. Là encore, il faudra sans doute attendre 3, 6, voire 9 mois pour que tout rentre dans l’ordre.
Il faut de 9 mois à 1 an pour que le sexe dans son ensemble prenne son aspect à peu près définitif. Un suivi par une gynéco est prévu et conseillé : les infections et les complications sont possibles jusqu’à 6 mois, et même parfois davantage. Les dilatations se poursuivent au rythme de 3-5h par jour pendant 1 an, ensuite on peut baisser un peu le rythme. (certaines femmes trans finissent par se contenter d’une petite dilat rapide par jour, voire de 2 par semaine après plusieurs années, puis plus du tout, surtout si elles ont une vie sexuelle active) Quant à savoir si j’arriverai au numéro 4 un jour, et dans combien de temps… Mystère !
Bref, l’opération et le premier mois ne sont que le début. Il y a encore énormément de travail.
liste non exhaustive de matériel post opératoire. Yup, il y a du boulot.
Je ne compte pas faire d’autres opérations, je n’ai pas l’argent pour et je ne les juge pas très utiles. Je n’ai aucune envie de repasser sur le billard. Il y a cette tentation de vouloir être plus jolie / attirante / sexy pour plaire davantage aux personnes qu'on aime, mais j'essaye de la refréner du mieux que je peux. Par contre je compte modifier un peu mon traitement hormonal pour faciliter la pousse de mes seins qui est très très lente. Mon objectif n’a jamais été esthétique, mais purement fonctionnel : il s’agit juste de me sentir mieux dans ma peau. A ce titre la SRS a bien aidé, sans non plus changer ma vie.
Je n’estime pas avoir vécu une « renaissance » comme j'entend souvent le terme. Je suis toujours la même personne. ( Je ne suis pas plus une fille qu'avant. D'ailleurs je suis plutôt un garçon ! ) Je me sens juste un peu moins gênée dans ma culotte et dans mes mouvements, je suis un peu plus à l’aise à l’idée de faire l’amour... Et je n’ai plus besoin de prendre mon médicament le plus toxique. Rien de vital ou de transcendant au final. C’est un investissement sur le long terme. Mais clairement pas une renaissance.
Mais je mentirais si je disais que c'est pas le pieds, quand même. ;-)